mercredi 12 décembre 2012

Le tir du missile nord-coréen "constitue une menace directe pour ses voisins"


Le tir du missile nord-coréen "constitue une menace directe pour ses voisins"

Capture d'image d'une vidéo de KRT montrant le numéro un nord-coréen Kim Jong-Un (au centre), lors d'une cérémonie pour l'inauguration des statues de son père et de son grand-père, quelques heures seulement après l'échec du lancement de la fusée Unha-3, à Pyongyang.

L'intégralité du débat avec Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, mercredi 12 décembre 2012

Paoli : Cela n'est pas la première fois que la Corée du Nord effectue un tir de fusée. Le tir de ce mercredi est-il différent des précédents ?

Valérie Niquet La grosse différence du tir nord-coréen d'aujourd'hui, c'est qu'il est réussi. Les Nord-Coréens avaient procédé à des tirs en 2006, en 2009 et au mois d'avril 2012. Mais c'est la première fois que le tir est réussi et que, comme le revendiquent les Nord-Coréens, ils ont apparemment réussi à placer un objet en orbite. C'est cette différence qui apparaît comme une surprise et une nouveauté.
Visiteur : Cela fait des années que les Nord-Coréens multiplient les provocations, sans jamais recevoir de réelles sanctions. Qu'est-ce que ce tir de missile va changer ?
Des sanctions ont été adoptées à l'ONU à la suite des premiers essais. Ces sanctions sont appliquées par la communauté internationale, mais la Corée du Nord est toujours soutenue par la Chine. Et l'aide chinoise lui a permis de ne pas trop souffrir des sanctions internationales. Cette fois-ci, une nouvelle réunion de l'ONU va avoir lieu ce mercredi 12 décembre, il est possible que de nouvelles sanctions soient adoptées, mais, encore une fois, sans coopération active de la part de Pékin, les résultats seront très limités.
Visiteur : Jusqu'à quand la Chine peut-elle rester passive envers son voisin nord-coréen ?
Pékin a fait des déclarations à la suite du tir, comme à son habitude, très ambiguës. D'un côté, la Chine déclare regretter cet essai, mais d'un autre côté, Pékin rappelle que Pyongyang a le droit de procéder à un usage pacifique de l'espace. Par ailleurs, la Chine appelle toutes les parties à faire preuve de calme, ce qui signifie qu'elle met sur le même plan la Corée du Nord, le Japon ou les Etats-Unis.
Visiteur : Est-ce-que la Chine peut lâcher son allié nord-coréen après ce tir ?
Pékin ne souhaite pas perdre la Corée du Nord, qui constitue, selon l'analyse chinoise, un atout stratégique qu'elle ne veut pas abandonner. Il y a eu un changement de direction récemment en Chine, mais, pour le moment, on ne voit pas d'évolution stratégique. Depuis quelques années, la Chine a adopté une attitude plus agressive en Asie. Elle dénonce notamment le retour des Etats-Unis en Asie. Et, dans ce contexte, la perte de la Corée du Nord serait considérée comme un échec. Donc, même si Pékin aimerait une Corée du Nord plus "normale", elle n'est pas prête à prendre les mesures qui aboutiraient à un effondrement du régime nord-coréen.
Visiteur : Quels sont les objectifs nord-coréens de ce lancement de fusée ?
Le nouvel essai de lancement de satellite ou de missile nord-coréen répond à plusieurs objectifs. Le plus important est sans doute d'affirmer le pouvoir du nouveau dirigeant Kim Jong-un un an après la mort de son père, Kim Jong-il, qui a eu lieu le 17 décembre 2011. Son pouvoir est encore fragile, il suscite beaucoup d'interrogations et, symboliquement, le tir réussi du satellite est un très important facteur de légitimité pour lui. On peut rapprocher ce tir du limogeage du chef d'état-major des armées qui s'est produit il y a quelques jours et qui tendrait à confirmer la volonté de Kim Jong-un d'imposer son autorité, notamment sur les militaires.
La deuxième raison, c'est la volonté de remettre la Corée du Nord au premier plan des enjeux stratégiques en Asie. Depuis plusieurs mois, on n'entendait plus beaucoup parler de la question coréenne. Avec ce tir, cela relance la balle dans le camp, notamment, des Américains.
Tom18 : L'élection présidentielle du 19 décembre en Corée du Sud a-t-elle motivé le timing du lancement de la fusée par la Corée du Nord ?
On peut penser que les élections en Corée du Sud n'ont pas eu une influence sur le choix de la date du lancement de la fusée. Mais, à l'inverse, le tir de la fusée aura sans doute une influence sur le résultat des élections en Corée du Sud, mais aussi au Japon, où elles auront lieu dimanche 16 décembre. Dans les deux cas, la provocation nord-coréenne pourrait peser en faveur des partis conservateurs.
Lolotte : Les Etats-Unis ont-ils la possibilité de détruire ou de saboter le satellite mis en orbite ?
Les Etats-Unis ont peut-être les capacités techniques de nuire au satellite nord-coréen. Cette solution paraît toutefois peu envisageable, elle n'apporterait pas d'avantage particulier. Et, pour l'instant, la stratégie des Etats-Unis consiste plutôt à renforcer les sanctions, à attendre une évolution du régime nord-coréen sans reprendre les négociations tant qu'il n'y a pas d'évolution, et à jouer la carte de la pourriture du problème. Cette stratégie ne devrait pas évoluer après le nouveau tir d'essai. En tout cas, pas fondamentalement.
Visiteur : En quoi ce lancement de fusée représente t-il une menace pour les puissances européennes ?
Le lancement de fusée en lui-même ne représente pas une menace directe pour les puissances européennes. Il représente une menace directe pour les voisins de la Corée du Nord en Asie, à commencer par le Japon, où se trouvent des bases américaines. Il représente aussi une menace, potentiellement, pour les territoires de l'Ouest américain. En revanche, pour les pays européens, le développement des capacités balistiques de la Corée du Nord constitue une menace indirecte de prolifération en direction de pays tels que l'Iran, dont on sait qu'il y a eu des coopérations dans le passé entre Pyongyang et Téhéran.
Pierrick : Y a-t-il encore des liens entre la Corée du Nord et l'Iran ?
On n'a pas d'information très ouverte sur le sujet. On peut le supposer. Il y a des rumeurs toutefois qui indiqueraient qu'une coopération au moins technologique se poursuivrait entre la Corée du Nord et l'Iran.
Ippopo Tamino : Quelle est la position de la Russie au lancement du satellite ?
La Russie a condamné le lancement du satellite en rappelant les résolutions de l'ONU et elle déplore officiellement tout ce qui contribue à la déstabilisation stratégique en Asie du Nord-Est. Et nous verrons quelle attitude la Russie adoptera en ce qui concerne de possibles nouvelles sanctions.
Visiteur : Après ce tir réussi, quelle est la prochaine étape pour le régime nord-coréen ?
Il est difficile de prévoir les choix futurs du régime nord-coréen. Mais on voit que la stratégie de la tension et du chantage continue de l'emporter auprès des dirigeants plutôt que la politique d'ouverture sur l'extérieur. Dans ces circonstances, le risque, après ce tir d'essai de fusée réussi, est que la Corée du Nord choisisse à nouveau de faire monter la pression en procédant éventuellement à un nouvel essai nucléaire.
Christophe : Le risque d'attaque du régime nord-coréen contre ses voisins est-il important ?
Il y a eu en 2006 deux offensives lancées contre la Corée du Sud. Un bateau sud-coréen a été coulé par la Corée du Nord et des îlots ont été bombardés. Mais la Corée du Nord est aussi consciente de la faiblesse de ses capacités face à la Corée du Sud et aux Etats-Unis. Une offensive contre la Corée du Sud pourrait entraîner la disparition du régime nord-coréen. L'objectif du régime étant d'abord de survivre, de se perpétuer, on peut imaginer que la Corée du Nord, tout en poursuivant ses provocations, ne franchira pas certaines limites. Le risque d'"invasion", par exemple, est donc très limité. Par ailleurs, même si Pékin ne veut pas abandonner son alliée, on peut supposer que la Chine s'opposerait fermement à toute tentation d'aventurisme de la part de Pyongyang.

Franck22 : Un rapprochement entre la Corée du Nord et la Corée du Sud est-il encore envisageable ou faudra-t-il une chute du régime nord-coréen ?
Pour le moment, les choix effectués par la Corée du Nord ne plaident pas en faveur d'un scénario de rapprochement avec le Sud. D'autant plus que le tir d'essai nord-coréen aura pour conséquence, peut-être, l'arrivée au pouvoir des partis conservateurs en Corée du Sud, partisans d'une attitude de fermeté vis-à-vis du régime nord-coréen.
Visiteur : L'amélioration des relations diplomatiques avec la Corée du Nord ne serait-elle pas préférable pour limiter les risques d'escalade dans la région ?
C'est la théorie défendue par certains, et notamment la Chine, qui considèrent qu'il faut commencer par le dialogue sans précondition pour regagner la confiance de la Corée du Nord. En réalité, cette stratégie du dialogue a été suivie pendant de longues années au travers notamment du dialogue à six sur la Corée du Nord, mais cela n'a abouti qu'à donner à Pyongyang plus de temps et de liberté pour développer ses capacités balistiques et nucléaires.


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