mardi 16 octobre 2012

Le Ghana pris dans les troubles ivoiriens de l'après Gbagbo





Des chauffeurs maliens devant leur camion à Elubo, à la frontière du Ghana et de la Côte d'Ivoire, le 8 octobre 2012 AFP Chris Stein
La petite ville ghanéenne d'Elubo, à la frontière avec la Côte d'Ivoire, était habituée au ramdam incessant de la circulation avec la Côte d'Ivoire qui commence de l'autre côté de la rivière Tanoé. Mais un vacarme d'un genre nouveau a éclaté une nuit du mois dernier, celui des armes à feu.
"Ils ont tiré, tiré et tiré", raconte Thomas Offin, un changeur installé à la frontière, encore sous le coup de l'incident.
Car si cette localité, succession de stations-service, de bouibouis et de bureaux de change, s'était accoutumée à voir des Ivoiriens passer la frontière lors de la crise électorale qui a ébranlé leur pays l'an dernier, ils n'avaient pas encore eu droit à une fusillade en bonne et due forme.
Les coups de feu qui ont fait trembler Elubo le 21 septembre venaient de la ville ivoirienne de Noé: un poste-frontière y a été attaquée par des hommes dont certains seraient arrivés du Ghana.
Selon les autorités ivoiriennes, cinq assaillants ont été tués et les autres se sont enfuis au Ghana. La Côte d'Ivoire a fermé la frontière pendant une quinzaine de jours.
Un porte parole de l'armée ghanéenne a voulu minimiser l'incident.
"La Côte d'Ivoire a des problèmes de sécurité internes," estime le Colonel M'Bawine Atintande, "nous sécurisons nos propres frontières, à eux de sécuriser leurs frontières".
Mais à l'image d'Elubo, c'est le Ghana tout entier qui reste pris dans la tourmente ivoirienne bien après l'arrestation du président déchu Laurent Gbagbo.
Une position délicate pour le président ghanéen
Des milliers de ses partisans ont trouvé refuge au Ghana lors de la crise provoquée par le refus de M. Gbagbo de céder le pouvoir après sa défaite électorale en 2010 face à Alassane Ouattara.
A quelques mois des élections, le président ghanéen John Dramani Mahama se trouve dans une position délicate.
Il se voit demander d'agir par Abidjan contre des réfugiés ivoiriens, dont certains comploteraient pour récupérer le pouvoir. Accra a ainsi annoncé lundi l'arrestation de 43 "ex-combattants" ivoiriens dans un camp de réfugiés.
Mais le président ghanéen est aussi soumis à des pressions dans son pays.
Des membres de son parti ont été dans le passé des alliés de M. Gbagbo. Comme l'ancien président Jerry Rawlings, qui reste influent au Ghana et qui a qualifié  d'"enlèvement" le transfert devant la Cour pénale internationale (CPI) de l'ex-chef de l'Etat ivoirien.
"Le message de Mahama, c'est +je vais essayer d'entretenir de bonnes relations avec cet homme (Ouattara), mais je veux que les gens sachent que je préférais négocier avec Gbagbo+", estime Thomas Tieku, spécialiste du Ghana à l'Université de Toronto.
Selon un récent rapport des Nations unies, des partisans de M. Gbagbo ont installé un poste de "commandement stratégique" sur le sol ghanéen "dans le but de reprendre le pouvoir en Côte d'Ivoire". Ce que Accra a démenti.
M. Mahama dit vouloir empêcher que son pays ne serve à lancer des attaques contre son voisin ivoirien et les autorités ghanéennes ont arrêté l'ancien porte-parole de M. Gbagbo, Justin Koné Katinan, recherché pour crimes économiques et pour le meurtre de deux hommes en Côte d'Ivoire.
M. Koné Katinan, dont Abidjan réclame l'extradition, sera entendu par la justice ghanéenne le 16 octobre.
En Côte d'Ivoire, une vague d'attaques survenues en août et attribuées aux partisans de M. Gbagbo a provoqué le plus grave regain de tension avec le Ghana depuis la fin de la crise postélectorale.
A Elubo, il faut composer avec la réalité et une frontière poreuse.
"Les gens vont et viennent," raconte Mohamed Eo, un Ivoirien qui travaille à la station de taxis locale. "Ils passent par la rivière, par des tunnels, ils traversent la brousse".
Côté Ghana, dans la jungle, la frontière n'est parfois matérialisée que par une piste ou un rocher.
Avec l'instabilité en Côte d'Ivoire, des réfugiés continuent d'arriver au Ghana, selon Stephen Loutit, responsable onusien qui supervise les camps autour d'Elubo.
La plupart des réfugiés sont des pro-Gbagbo qui disent fuir la répression des forces ivoiriennes, selon M. Loutit.
Paul Pham, directeur Afrique du groupe de réflexion Atlantic Council, estime que le Ghana a le devoir de s'assurer que ces camps ne deviennent pas la base arrière pour des attaques en Côte d'Ivoire.
Mais, selon lui, le plus important, c'est le désarmement et la réintégration des ex-soldats ivoiriens.
On estime que plusieurs dizaines de milliers d'armes circulent en Côte d'Ivoire depuis la fin de la crise en 2011, parmi les combattants pro-Gbagbo comme parmi les anciens rebelles des Forces nouvelles qui ont soutenu M. Ouattara.
"Le gouvernement de Ouattara a vite fait de tenir les forces pro-Gbagbo venant du Ghana pour responsables de l'instabilité dans son pays", dit-il, "c'est une porte de sortie facile", dit-il.

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